mardi 1 décembre 2015

Entretien avec Gérard de Sorval

LA PETITE FILLE ESPÉRANCE

extrait de la revue CONTRELITTÉRATURE – N° 15 – HIVER 2005


On connaît l'œuvre de Gérard de Sorval sur l’art héraldique (Le langage secret du Blason, La Mise en demeure – en collaboration avec Jean-Claude Marol) et sur la chevalerie spirituelle (La Voie chevaleresque). Son essai majeur, La Marelle ou Les Sept Marches du Paradis, va très prochainement être réédité aux éditions Dervy.

La Hauteur et la Profondeur

En quoi le langage symbolique est-il la clé de la connaissance ? Une formation aux doctrines traditionnelles est-elle encore possible ?


 Il me semble inutile de répéter ce qu’a dit et écrit René Guénon à ce sujet, notamment dans les Aperçus sur l’Initiation, propos auxquels je souscris entièrement.
Il est évident que l’accès à la profondeur de la réalité passe par un au-delà des mots ; ou, si vous préférez, que le langage discursif et le raisonnement mental ne conduisent à rien d’autre qu’à permettre une analyse très fragmentaire, au mieux logique, des phénomènes perçus par les sens.
Dans une perspective plus large, on peut considérer que toute langue n’est qu’un ensemble de signes symboliques renvoyant à un sens qu’il s’agit de saisir de l’intérieur par une intuition directe qui dépasse les formulations verbales – les poètes « disent » plus par leur chant, qui porte le souffle de l’âme, que par leur discours, qui ne fait qu’énoncer des constats factuels. La parole portée par le souffle du Logos est une parole créatrice et transfiguratrice qui révèle les harmoniques de l’essence des choses. Elle ne réduit pas les choses à leur apparence contingente immédiate mais en appelle à une vision beaucoup plus profonde…
Pour en revenir à l’utilisation des symboles comme voie d’enseignement « doctrinal », ou, si l’on veut, de moyen de communication d’une connaissance sapientielle faisant appel à l’Intelligence supra-sensible, on peut considérer, en un certain sens, toute la réalité créée (le cosmos, la nature, les êtres vivants, etc.) comme un symbole, l’apparence d’un « chiffre » voilé audelà des choses, une « semblance » renvoyant à un modèle archétypal, une production externe qui renvoie aux causes sous-jacentes des formes. On peut donc se livrer à tout moment à une lecture symbolique de la réalité mais, si elle n’est pas guidée par le sens commun de la Tradition, elle risque de conduire à des impasses, à des contresens ou même à des inversions. Le monde du sens a aussi sa géographie sacrée et n’utilise pas n’importe quel symbole pour aller n’importe où ! Certains symboles « cardinaux » ont été sélectionnés par la Tradition universelle comme des accès privilégiés au centre de soi même et du monde, comme des échelles aussi vers le Ciel. On ne « trafique » pas ces symboles : on les étudie patiemment et humblement, en suivant le fil d’Ariane de la Tradition primordiale – qui est le véritable langage commun de toute l’humanité.
 L’individu n’invente rien ; s’il veut apprendre, il doit se mettre à l’écoute de ce qu’enseigne la communauté traditionnelle, d’essence intemporelle et universelle, à laquelle il peut avoir accès en fonction des conditions propres à sa situation particulière en ce monde. Qu’il s’agisse de sa caste, de son église, de sa confrérie religieuse ou de métier, etc., il n’y a pas d’apprentissage sans une incorporation à une communauté traditionnelle vivante qui diffuse et illustre l’enseignement de préceptes moraux et doctrinaux et qui incarne aussi certains types de notions et de réalités symboliques fondatrices de l’éveil spirituel.
 Dès lors, poser la question de la possibilité de trouver ce type d’enseignement dans les conditions actuelles du monde, c’est aussi d’une certaine manière y répondre, si l’on a tant soit peu conscience des conditions épouvantables dans lesquelles les « sociétés développées » enferment les hommes…
L’atomisation des sociétés modernes, le déracinement généralisé, l’ignorance de toutes les bases de l’histoire sacrée et de la notion même de tradition, l’absence d’horizon mental au-delà du plan du bien-être individuel ou collectif, la course frénétique à la consommation, le matraquage médiatique incessant, l’oppression totalitaire des instruments de « communication » ou d’« information » qui asservissent le cerveau humain aux mécanismes binaires des logiques marchandes, tous les carcans juridiques et administratifs du « règne de la quantité » stigmatisé par René Guénon, et tant d’autres choses dignes du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, rendent la perspective que vous évoquez pour le moins irréaliste.
Pour parler comme René Guénon, les données de l’« ambiance » planétaire sont telles aujourd’hui qu’elles interdisent (sauf de rarissimes exceptions) l’indispensable distance par rapport au monde qui est le préalable sine qua non à tout travail de concentration, d’éveil intellectuel et d’ouverture de cœur à l’influx de la grâce divine.
Certes, on n’a peut-être jamais autant parlé de « spiritualité », mais ce que nos contemporains entendent par ce mot n’est le plus souvent qu’une aspiration au mieux-être individuelle sous couvert d’une démarche de « réalisation personnelle » qui, en fait, suit inévitablement tous les courants idéologiques et mentaux à la mode. Il y a maintenant un véritable marché de la « spiritualité » qui n’est rien d’autre qu’un produit de consommation parmi d’autres et l’illusoire « supplément d’âme » qu’une société entièrement dominée par l’esprit de rentabilité et de compétition, par l’impératif totalitaire du plus grand profit individuel, propose à ses membres. Ainsi, dans ce climat « néospiritualiste », déjà annoncé et dénoncé par René Guénon dans Le Règne de la quantité et le signe des temps, chacun cherche désespérément à retrouver un sens à sa propre existence ou à retrouver la valeur authentique des choses, alors même que seul le prix est l’ultime référent de tout.
Naturellement, derrière cette apparente « liberté de pensée » où chacun peut avoir l’illusion de se construire sa propre religion, il existe bien évidemment une religion mondiale, qui ne dit pas son nom et dont le maître-mot pourrait être : « Défense au Ciel d’intervenir dans la conscience et les affaires des hommes ». Ce qui ne manque pas parfois d’avoir des conséquences réelles… Sans compter que, du côté des religions instituées, le pourrissement des esprits n’est pas moindre si l’on en juge par le développement des « fondamentalismes » littéralistes et des fanatismes mystico-sentimentaux de tous ordres.
Les considérations générales sur l’ambiance de l’époque actuelle – et le caractère à certains égards infernal de la « toile d’araignée » mondiale de l’« information » qui emprisonne le pouvoir des mots dans une sphère terriblement réductrice et totalitaire – ne seraient pas complètes si l’on ne soulignait pas aussi un phénomène encore beaucoup plus préoccupant : je veux parler de l’inversion des symboles.
De nos jours, on voit proliférer partout, dans la publicité, sur les écrans des ordinateurs, des téléphones ou de n’importe quel autre support d’« annonce », des images qui se donnent comme des décalques ou des dérivés de signes idéographiques qu’on employait autrefois dans le langage muet des anciennes sociétés initiatiques traditionnelles. Les fantasmes occultistes qui inspirent ces choix ne sont pas innocents. Ces signes « dynamisés » par des effets de lumière et de couleur, ou des stylisations graphiques « modernes », deviennent des sortes de pantacles magiques à rebours, c’est-à-dire des instruments de suggestion mentale et d’hypnose collective.
Il est par exemple, assez atroce de constater qu’on nomme maintenant « icônes » (par un abus du charabia anglo-américain des machines) des signes utilisés en informatique qui sont exactement l’inverse des supports de contemplation, d’intercession spirituelle et de sanctification que sont, dans le langage chrétien, les véritables icônes. La parodie du spirituel et l’utilisation à rebours des mots et des signes ne s’arrête pas là, on pourrait en multiplier les exemples.
 Parallèlement, le langage lui-même est atteint et se décompose de l’intérieur. Les mots perdent leur sens véritable, le vocabulaire s’appauvrit dans des proportions effarantes. La langue perd sa structure logique interne et aussi sa capacité à exprimer les nuances, à cerner avec finesse la diversité des registres de sens. Les stéréotypes d’un langage de plus en plus pauvre et « technocratique » atrophient l’amplitude et la profondeur de la pensée, après avoir obscurci la palette diaprée des sentiments et des sensations.
L’« efficacité » du sabir anglo-américain qui domine aujourd’hui, de gré ou de force, tous les registres de communication de la planète, supplante maintenant les expressions les plus familières du français. Peut-on encore songer à l’avenir si votre voisin vous assène qu’il faut « penser le futur », et autres anglicismes du même acabit ? Cela n’a l’air de rien mais, d’habitudes de langage en tournures de pensée, on finit par perdre la faculté de saisir ce qui ressort du domaine de l’intellect pur ou de la métaphysique.
Dès lors qu’on ne s’entend pas à la base sur le sens des mots, comment peut-on envisager de communiquer ou de diffuser une « information » d’une quelconque valeur dans le domaine de la connaissance ?
La Tour de Babel est là, et elle est bien là ! Dans ces conditions ceux qui « savent », comme dirait Lao Tseu, n’ont plus qu’à se taire, en attendant que le tumulte, effrayant de bêtise et de grossièreté, se calme un peu – si cela est encore possible !

La Longueur et la Largeur

Quelle est la fonction de l’art ? L’« incarnation » de la Tradition dans la société a-t-elle, aujourd’hui, totalement disparu ? Y a-t-il encore des sociétés authentiquement traditionnelles en Occident ?


Dès lors que les conditions extérieures du monde sont bien telles que nous les décrivons, on ne peut que s’interroger sur l’opportunité de poursuivre malgré tout une œuvre artistique ou littéraire. D’une certaine manière la question s’est toujours posée aux témoins de la Lumière intelligible et aux créateurs, face aux désordres de leur époque.
La forme achevée, pourvu qu'elle ait été conçue selon certaines normes de clarté, d'équilibre, d'harmonie et qu'elle soit inspirée par une vision intérieure profonde – et non dictée par de simples lubies fantaisistes – a le mérite de subsister et de porter témoignage par elle-même. Si elle obéit à des nombres et à des rythmes universels, elle contient un souffle animateur qui peut à tout moment toucher le spectateur, l'auditeur ou le lecteur.
Un message qui s'enracine au-delà du temps dépasse les modes et les engouements transitoires. Le pari à faire est celui de la « Petite fille Espérance », selon la belle formule de Charles Péguy, qui nous prend par la main et nous assure qu'il y aura toujours quelques personnes suffisamment dégagées des a priori et des préjugés de leur époque pour faire leur miel de la manne cachée sous le rocher.
La question que vous soulevez concernant la possibilité de continuer à dispenser aujourd’hui un enseignement doctrinal digne de ce nom, fondé sur un corpus symbolique traditionnel, supposerait que subsistent effectivement dans l’Occident actuel des sociétés authentiquement traditionnelles. Mais, exception faite peut-être de certaines branches du Compagnonnage, de quelques îlots monastiques et de cercles extrêmement restreints et, pour ainsi dire, comme retirés monde, force est de constater qu’il n’y a plus guère que de la « fausse monnaie ».
Cependant, il demeure indispensable de travailler à (re)constituer une élite intellectuelle capable de transmettre aux générations futures « ce qui ne passe pas » de l’esprit et de la lettre de la Tradition immémoriale – dont le dernier écho non encore dévié se trouve peut-être dans les contes populaires de tous les pays : l’innocence et l’esprit d’enfance comme dernier recours de l’émerveillement sapientiel…
Cette question, très grave, a été souvent évoquée par René Guénon, en particulier dans Orient et Occident, qui date déjà de 1924… Disons simplement que les réalités sur lesquelles s’articulent l’ordre de l’univers, de la nature et de la constitution de l’homme lui même sont invariables – et, quand bien même elles seraient de plus en plus occultées, méconnues, voire totalement ignorées, ce qui n’est pas loin d’être le cas de nos jours, elles n’en demeurent pas moins invariablement le fondement perpétuel du monde.
À cet égard, il suffirait que quelques-uns, poussés par l’Esprit – il ne s’agit pas ici de n’importe quel esprit, mais du Don de Dieu, du Saint-Esprit – soient amenés à nouveau à reconnaître des vérités premières de l’ordre de la Création, pour que la Lumière ne cesse pas de briller, même au sein des plus épaisses Ténèbres. Tôt ou tard, il faudra bien que ces quelques-uns existent, qu’ils se reconnaissent entre eux, qu’ils se manifestent et qu’ils constituent un noyau vivant, ici même, en France. Cela est absolument inéluctable, car on a beau admirer tel ou tel pays ou tourner ses regards vers je ne sais quelles peuplades reculées, miraculeusement épargnées par le vent de l’histoire et qui résistent encore au monde moderne, c’est toujours la France, constamment, en vertu de ses saints et de ses rois, de ses monuments, de son génie propre et des qualités spécifiques de sa langue, qui demeure le creuset principal de l’Occident et l’endroit où s’élaborent – pour le meilleur et pour le pire – des idées maîtresses, et d’où partent les courants mentaux majeurs qui marquent l’orientation des consciences collectives. La France « éducatrice des peuples », selon l’expression du pape Jean-Paul II, lors de sa première visite dans notre pays, en 1980…
Mais, de toute évidence, cela ne pourra pas se faire sans réveiller les ressources spirituelles fondatrices de ce pays, sans faire appel à son âme, à sa langue et à sa culture – et, en priorité, à son « héritage » catholique, au sens plénier du terme.

Le Centre 

Y a-t-il encore une nécessité royale, aujourd’hui ? Que penser des prétendants et des partisans actuels? De l’initiative « électorale » de M. Adeline ? Qu’elle est, ici et maintenant, la vocation de la France?


Je n’ai pas l’honneur de connaître Monsieur Adeline, sauf par ce que j’ai pu apprendre de ses initiatives à travers la presse et un numéro précédent de Contrelittérature1. Toutes questions de personnes mises à part, il m’apparaît qu’il y a périodiquement, depuis un siècle environ, des tentatives, plus ou moins heureuses, pour susciter un parti royaliste en France, sous telle ou telle bannière. Ce n’est donc pas nouveau et, bien que l’idée même de créer un parti pour faire appel à quelque chose qui est au-delà de tous les partis, me paraisse saugrenue, je comprends et je respecte le sentiment des Français qui souhaiteraient voir revenir un roi à la tête de l’État.
Mais de quoi s’agit-il ? De réformer les institutions politiques ? De redonner du lustre et du prestige à la fonction suprême de l’État ? D’« aménager » la démocratie en la chapeautant par une couronne, garante de la paix sociale comme dans d’autres pays européens ? On peut, certes, prouver à la manière de Maurras, que la monarchie française était le meilleur et le plus efficace des régimes politiques pour l’équilibre et la postérité de notre pays, mais c’est faire bon ménage du fondement sacral sur lequel reposait absolument tout son édifice. Or, ce fondement n’existe plus – ou plutôt n’est plus reconnu – et les mentalités actuelles sont aux antipodes de l’ancienne « religion royale » qui unissait le peuple au Roi des Lys.
La monarchie « constitutionnelle », où le souverain véritable est le peuple tandis que le prince n’est qu’une sorte de fidéicommis de la « représentation » nationale, peut sans doute se concevoir chez nos voisins européens, mais certainement pas en France !
Que je sache, la France n’est pas n’importe quel pays et son roi n’est pas un souverain de rencontre. C’est le premier de tous les royaumes chrétiens – à l’exception de l’Arménie et de la Géorgie dans la Chrétienté orientale – l’exemplaire de tous ; et le roi de France est le Roi, c’est-à-dire le premier de tous en dignité, le modèle de tous, et l’aîné de tous les princes. Lorsqu’en Europe on parlait du Roi, sans préciser, il s’agissait naturellement du roi de France et de nul autre. L’héritier de Clovis, de Charlemagne et de Saint Louis, doit-on le rappeler, est un pilier fondamental de l’édifice du monde chrétien : hors de cela ce n’est plus du roi de France dont il s’agit mais de je ne sais quelle invention sortie de têtes éprises de constructions mentales ou sentimentales plus ou moins séduisantes. On ne saurait « bricoler » – passez moi l’expression – une constitution monarchique de la France au gré de tel ou tel courant d’opinion. À tout prendre, il vaudrait mieux en rester à la République, qui est clairement un régime fondé sur l’opinion publique, où tout peut sans cesse se discuter et être remis en question et où rien n’est sacré… hormis le culte sacro-saint de la République, bien entendu !
Poussons la contradiction jusqu’au bout : imagine-t-on un instant que l’Oint du Seigneur – le Lieutenant du Christ, Fils aîné de l’Église, héritier de la plus ancienne, la plus noble et la plus illustre de toutes les dynasties royales depuis deux mille ans, tenant sa couronne d’un mandat direct du Ciel, plus auguste et plus sacré que l’Empereur des romains lui-même – puisse revenir se couler dans le moule d’une société où tout individu est le roi et refuse la moindre parcelle d’autorité de droit naturel ou de droit divin, au-dessus de lui ?
À supposer même que des Français, assez nombreux, souhaitent, par je ne sais quel retournement des mentalités, le « retour du Roi », imagine-ton que l’héritier des martyrs que furent Louis XVI et Louis XVII, des proscrits que furent Charles X et Henri V, et des chefs admirables que furent les bâtisseurs de cet État, reviendrait benoîtement chausser les pantoufles de Monsieur Pompidou, se coiffer du chapeau mou de Monsieur Mitterrand, ou serait prêt à négocier, avec je ne sais quelle « représentation nationale », le droit d’être ce qu’il est ?
Ou bien le Roi est le Roi et il ne saurait être tributaire du bon vouloir de « citoyens » plus ou moins bien éclairés, ou bien il s’agit d’autre chose… On se rappellera que, selon l’adage ancien, la Roi (en France) « ne tient de nulluy fors de Dieu et de luy », c’est-à-dire que c’est la volonté de Dieu qui le place à la tête du « peuple de France » : nul de ses sujets n’est fondé à discuter son autorité.
Dès lors qu’on soumettrait la couronne au suffrage des urnes ou à je ne sais quelle combinaison politicienne, ce n’est pas le Roi de France qu’on aurait mais, au mieux, un « roi des Français », c’est-à-dire un clone de Louis-Philippe – et cela a déjà été tenté avec le succès de grimace que l’on sait.
En vérité tout cela est bien une question de religion ou, si l’on préfère, de croyance : la République en France, n’est autre que le postulat politique et religieux de l’absence de tout principe transcendant au-delà de ce qu’on appelle la volonté populaire ou la volonté nationale ; ce qui veut dire que la collectivité est censée se donner ses propres lois et ne dépendre d’aucune norme sacrée universelle.
A contrario, la monarchie française est l’incarnation du principe inverse : celui du Roi Très Chrétien, mandataire du Christ pour faire régner la justice sur terre. La rupture de 1789 est une rupture métaphysique. On ne revient pas là-dessus par des expédients politiques ou des recettes institutionnelles. Cette question de fond engage le monde chrétien et on ne pourra pas éternellement évacuer ce que signifie le régicide de 1793, ni faire comme si cela n’avait été qu’un accident regrettable dans notre histoire. La France est, hélas ! exemplaire en tout, et ce serait méconnaître sa mission que de gommer la subversion doctrinale de la « philosophie des Lumières », comme s’il s’agissait d’une simple crise d’urticaire. Dès 1750, le roi Louis XV considérait que l’évolution des mentalités était telle que les assises mêmes du trône n’étaient plus assurées de durer. Que dire aujourd’hui ? Imagine-t-on que l’Église « qui est en France », comme disent certains évêques, accepterait de revenir « en arrière » (Oh ! le vilain mot !) et de renoncer au profitable pacte de non-agression qu’elle a conclu avec le régime en place ? Qui donc alors sacrerait le Roi à Reims ?
En vérité, on se berce d’illusions si l’on pense que le principe royal en France puisse être autre chose que la pierre d’achoppement de la fidélité ou de l’apostasie de la première nation chrétienne – avec toutes les conséquences que cela implique.
La couronne de France ne se négocie pas. Elle est le reflet terrestre de la Sainte Couronne d’épines, elle est d’institution divine. À tel point qu’il a fallu la mission de Jeanne d’Arc pour le rappeler. Quant au Roi de France, il ne meurt pas, c’est-à-dire qu’en l’absence de règne possible et visible – pour cause de Xe constitution fabriquée contre la monarchie traditionnelle – le règne du Très-Chrétien subsiste, de droit, invisiblement. Il n’est au pouvoir d’aucun homme de modifier ou de supprimer ces dispositions qui forment l’alliance spéciale entre Dieu Tout-Puissant et la « tribu de Juda de la nouvelle alliance ». Le corps du Roi des Lys peut s’incarner, si j’ose dire, dans tel ou tel prince de la descendance de Saint Louis, selon le droit, la tradition et les lois fondamentales du Royaume. Cette couronne est héréditaire et successive : on ne choisit pas le Roi, c’est le Ciel, la naissance et le droit qui le désigne. Le fait que certains s’autorisent à discuter des mérites ou de la légitimité de tel ou tel « prétendant » est le signe qu’ils ne comprennent plus rien, ni au droit français, ni à l’essence même de la fonction souveraine du sceptre de Charlemagne et de Philippe-Auguste. On ne peut que prendre acte de cette situation, somme toute assez triste, et constater qu’il y a une sorte de vacance du Principe royal, ainsi qu’une absence tragique du Prince.
Cette absence, aussi radicale soit-elle, est paradoxalement le meilleur service qu’on puisse peut-être rendre à la France, si l’on espère qu’un jour elle se retrouve face à elle-même, à son identité, et recouvre le sel de son âme. Il conviendrait, à ce propos, de ne pas oublier que la France s’est construite malgré les Français et en dépit de leurs incessantes revendications anarchiques et individualistes, de leur esprit brouillon et de leur insupportable prétention à dicter leur opinion à tout et à tous. La grandeur dont ils ont hérité et dont ils sont fiers « après coup » est uniquement l’œuvre de la dynastie régnante, réalisée au long des siècles avec ou sans leur concours…
Un successeur du Roi-Soleil, digne de son nom et de sa race, n’a rien à faire, de près ou de loin, avec la « patrie des droits de l’homme » et des « immortels principes de 1789 ». Le mythe de la « grande nation » est totalement antagoniste avec le principe même de Majesté royale. Or, « si le sel s’affadit, avec quoi salera-ton ? » dit l’Évangile.
Seul le Général De Gaulle a pu, à un moment donné, compenser un peu la succession dramatique des fractures institutionnelles qui ont jeté ce pays hors de ses bases, de ses ressources spirituelles, de son identité propre et des voies de sa grandeur. Mais son échec final est en lui-même une leçon. Si quelqu’un de cette envergure, et disposant de tous les moyens de l’autorité de l’État, n’a pu aboutir à rétablir l’« ordre » véritable de la civilisation française, que peut-il en être de tel ou tel mouvement ou de telle ou telle initiative groupusculaire visant à « peser un poids politique » ?
Aujourd’hui, les questions qui se posent à la France sont autrement plus graves que de savoir le dosage idéal de « démocratie » qui conviendrait dans l’hypothèse d’une restauration monarchique. La question qui se pose actuellement est celle de la survie de la France en tant que nation et en tant qu’État souverain, de son indépendance, de la survie de sa langue, de sa culture et de son identité.
La France ne peut être autre chose qu’un royaume indépendant de tous les empires et un État exemplaire en ce qui regarde le respect des droits des gens. À cet égard, le 30 avril 1963, De Gaulle déclarait : « Les Américains sont engagés dans un processus de mainmise sur l’ensemble des circuits économiques, financiers, politiques dans le monde. C’est une invasion qui se déroule comme le cours d’un fleuve. Les Américains le voudraient-ils qu’ils ne pourraient pas s’y opposer.D’ailleurs il n’y a pas de risque qu’ils le veuillent ! Qui dresse une digue ? Ce n’est pas le fleuve. Ce sont les hommes qui ont intérêt à se mettre à l’abri de l’inondation. Personne n’en a le courage. C’est donc à nous qu’incombe ce devoir. Vous verrez, on finira par suivre notre exemple si nous le donnons avec éclat » (Cité par Alain Peyrefitte, in C’était De Gaulle, éditions FalloisFayard, 1994-2000).
 Quarante ans après ce constat, rien n’a changé, où plutôt tout a empiré. La France est confrontée avec une urgence croissante à ce défi qu’elle doit relever si elle veut demeurer elle-même. Sa vocation permanente est de se dresser contre toutes les hégémonies totalitaires, contre les entreprises « impérialistes » qui étouffent la liberté des peuples et celle des consciences. La France, le regnum francorum, signifie le « pays des hommes libres ».
Cette liberté-là n’est pas une idéologie du n’importe quoi : elle se gagne à la pointe de l’épée. « La victoire est au bout de nos lances », disait Jeanne d’Arc. Le Roi d’aujourd’hui ne pourrait faire autrement que de prendre la tête de cette guerre de libération nationale toujours à recommencer. Et il gagnerait, car Saint Michel est toujours le chef suprême de l’armée des Francs…


« Le crâne est le lieu où descend l’ultime bénédiction divine, au sommet de cette tête qui est devenue le chef de l’Homme premier réunifié. Par l’axe coronal, le rayon lumineux du Soi perce la voûte du firmament et se déploie dans l’immensité sans forme, au delà du cosmos. C’est le moment de la multiplication et de la projection, où la semence d’or réalise la transmutation de la matière tout entière ».
 Gérard de Sorval, La Marelle, Éditions Dervy, 1996, p.169.



11 commentaires:

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    1. Merci du commentaire et dsl d'y répondre un peu tard.
      Je suis d'accord avec la nuance que tu apportes par rapport à l'idée que le monde actuel étant sans aucune noblesse il est plus facile de percevoir ses pièges que dans une société plus traditionnelle où l'on peut facilement se contenter d'une vie qui apporte ses réponses religieuses et ses rites exotériques satisfaisants. Il s'agit toujours comme dit Guénon de s'extraire de l'illusion de la vie ordinaire, que ce soit dans une société traditionnelle ou dans une société en déroute spirituelle comme la notre.
      Ta citation du Vishna Purana est très à propos. Cela me fait penser aux Lettres de Saint Paul Apôtre aux Romains chapitre 7 qui annoncent que grâce à la venue et au sacrifice du Christ pour les hommes l'ancienne loi biblique s'accomplit d'une façon plus simple :
      « Mais maintenant, nous avons été dégagés de la Loi, étant morts à ce qui nous entravait ; ainsi, nous pouvons servir d’une façon nouvelle, celle de l’Esprit, et non plus à la façon ancienne, celle de la lettre de la Loi. »
      Les centaines de prescriptions que devait s'efforcer de suivre le peuple juif, les chrétiens peuvent désormais s'en acquitter par la seule circoncision du cœur.
      Je découvre depuis quelques temps l'hindouisme à la lumière des écrits de René Guénon (et aussi par le site et les conférences en ligne d'Eric Tolone, Maïeutique Transcendante) et je ressens une joie profonde à observer la convergence des différents héritages religieux porteurs chacun des lumières de la Tradition Primordiale.
      Par rapport à l'idée de la Providence qui pourvoit à tout, vous avez tout à fait raison, quelques mots du poète Holderlin exprime à sa manière cette idée :
      « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve »
      C'est tout la subtilité que l'on doit avoir par rapport au phénomène de la technique qui globalement correspond à une dégradation de la sacralité humaine et un enlisement plus profond dans la matière au détriment de l'esprit mais cela n'empêche pas qu'aux marges et pour le petit nombre qui le désire ardemment il est possible d'utiliser les objets techniques modernes à des fins traditionnelles, c'est par internet que nous pouvons communiquer ensemble, partager librement du savoir, découvrir des traditions authentiques lointaines géographiquement.
      Gérard de Sorval ne parle pas de la franc maçonnerie dans cette interview mais ayant lu 2 des ses ouvrages essentiels (Le langage secret du blason ; Initiation chevaleresque...) je peux vous affirmer qu'il prend largement en considération l'héritage traditionnel que porte la maçonnerie opérative (en la distinguant bien d'une spéculative dégradée, Grand Orient par ex), il marche bien dans les pas de Guénon. Mais je crois qu'il n'a pas tort de signaler que cette maçonnerie est aujourd'hui extrêmement minoritaire par rapport à l'influence considérable des obédiences actuelles qui vont toutes dans une trahison de l'héritage médiéval authentique de cette confrérie initiatique (un rite encore porteur d'une part de l'héritage maçon traditionnel est incarné par le Régime Ecossais Rectifié il me semble mais je ne peux vous en garantir n'étant pas moi même maçon).

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    2. Merci pour vos encouragements vis à vis de mon blog qui en est encore à ses balbutiements, « barrulant » signifie en provençal « se promener » et c'est avec cette modestie de flânerie buissonnante que je veux placer l'ambition de ce blog. L'idée est de ne s'interdire aucun thème (musique, religions, traditions, poésie, histoire...) mais de garder un angle traditionnel dans l'approche de chacun des articles.
      Je me suis permis grâce à votre nom d'aller sur votre compte google + et j'ai constaté que vous êtes peut-être l'auteur du blog sur l'astrologie traditionnelle ? C'est assez incroyable car il n'y a pas plus tard que 3 jours une amie m'a conseillée vivement ce site suite à une discussion sur l'astrologie et sur l'existence d'une branche non déviée de cette science ancienne (peut-être la plus importante des sciences!). Mon amie m'a confirmé qu'elle ne vous avait pas conseillé mon blog car ne vous connaissant pas, il s'agit donc d'un heureux « hasard » ou plus exactement d'une providence qui pourvoit bien à tout. J'apprécie beaucoup votre blog pour ce que j'en ai lu à l'heure actuelle et je compte désormais en approfondir la lecture. Je m'abonne immédiatement à votre chaîne Google + comme cela on pourra facilement se tenir informé des articles nouvellement publiés.
      Bien à vous,
      à une prochaine fois je l'espère,
      François V.

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    6. Oui il y a eu une recomposition du judaïsme vers cette période, la mise par écrit des enseignement oraux des lois juives va aboutir au Talmud (Mishna et Gémara), ce qui va leur permettre de faire subsiter leur tradition tout en étant un peuple éparpillé à travers les nations. Il est difficile dans le judaïsme de discerner le bon grain de l'ivraie contrairement aux 2 autres abrahamismes (Christianisme et Islam), car je pense qu'un certain judaïsme secret (non médiatisé) peut reconnaître la divinité du Christ tout en conservant un dépot hébraïque dont lui seul peut être le dépositaire, quitte à choquer un peu les catholiques intégraux mais c'est un long débat. Le savoir hébraïque plongeant loin ses racines dans le temps, on peut être plus facilement illusionné par le lustre ancien et s'égarer complètement. Je pense à la Kabbale notamment qui est souvent détournée vers des fins pour le moins discutable. Les écrits de Gershom Scholem sur la mystique juive par ex, je remarque beaucoup de récuparation pour des idéologies discutables (sionisme,...). Il faut mettre tout cela en perspective par rapport à une fin de cycle dans laquelle toute voie de Libération authentique est parodiée.
      Je suis totalement d'accord avec toi sur l'importance du pouvoir de nommer. Personnellement je prête une attention systématique à chaque nom de lieux dont on peut pressentir une origine lointaine (gauloise, ligure,...), des cultes oubliés affleurent encore un peu (la Saône et la Seine rappelle la déesse Sequana, LUG-dunum,...). Dans ces époques reculées, nommer avait une valeur sacrale supérieure au faire, et on a la trace de cette supériorité du verbe sur la matière dans la Bible (Au commencement était le Verbe) et dans l'hidouisme (particule OM).
      Cette idée d'un Mal qui participe à une destruction "nécessaire" de cette fin de cycle est une des plus difficile à admettre je trouve et pourtant elle est justifiée. Il y a une nécessité du mal, aussi horrible soit-il, cela explique d'ailleurs certains courants messianiques déviés qui ont cherché dans l'application du Mal une sorte de voie de salut (Sabbataï Tsevi, Jacob Frank). Bien évidemment il faut toujours combattre le Mal quand bien même d'un point de vue supérieur ce contre quoi l'on se bat participe aussi (mais de manière inverse) à l'accomplissement des cycles cosmiques. Ce n'est pas pour rien que cette question du mal, qui est abyssale, est l'unique question que pose toute l'oeuvre de Dostoïevski.

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    7. Bien vu pour la "poudre noire" dont le peuple chinois n'a sagement pas développé son usage. En fait les découvertes techniques ne répondent pas du tout à cette grossière image progressiste et linéaire que l'on veut nous faire croire en permanence. Elles apparaissent toujours à un moment particulier pour répondre à un besoin nouveau, sachant qu'à mesure que l'homme s'éloigne de la lumière originelle (l'état d'Adam primordial) son besoin de se confectionner des "béquilles" pour pallier sa dégradation se fait de plus en plus pressent, il pense trouver dans l'aventure technique une voie de divination mais qui n'est qu'une triste illusion est il n'y a qu'à observer 14-18 ou Hiroshima pour en avoir l'éclatante preuve. Il y a un texte intéressant de Guénon sur les 7 tours du diable, il remarque que ces tours qui servent de contre Aggartha en quelques sorte sont toutes placées dans des zones pétrolifères, il y a voit à juste titre le carburant disponible pour l'embrasement terminal du monde.
      Pour la franc maçonnerie c'est une question complexe, il y a certainement le transmission d'une influence spirituelle (surtout pour les haut grades) mais du fait qu'elle est tronquée de son sommet ou déviée par rapport à sa source, elle est susceptible d'être récupérée par des intérêts bassement matériels. C'est ce que l'on constate tous les jours avec les scandales politico financiers (voire pire) dans lesquels sont mêlés des réseaux maçonniques. Des figures emblématiques de cette maçonnerie dégénérée comme Benjamin Franklin (à mon sens bien pire que la maçonnerie affairiste du type Washington) sont la preuve que cette ancienne confrérie de métiers est détournée pour servir des intérêts à l'opposée de toute élévation spirituelle. Certes l'esprit souffle où il veut mais il n'empêche qu'il est extrêmement périlleux de décider de se passer de tout canal de transmission dans une démarche initiatique, on s'illusionne beaucoup plus facilement seul sans rattachement au passé, après rien n'est impossible à Dieu c'est sûr.

      Je vais explorer un peu ton blog ce week end qui a l'air très vraiment d'une qualité bien supérieure à tout ce qu'on trouve normalement sur la toile sur ce sujet. Vraiment merci pour ce travail disponible à tous. Pour ton écriture tu te débrouilles apparemment très bien pour simplement discuter donc je doute pas que le résultat de tes livres soit très correct. S'il est possible de t'acheter un ouvrage je suis intéressé. Je pense mettre bientôt un article sur la croix occitane qui t'intéresseras aussi peut-être car elle est en lien avec des données astrologiques anciennes et on peut faire des rapprochement nombreux avec la croix celtique. A bientôt.

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